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Armoiries
M. Gérard Boudet, membre des Amis de l’Abbatiale Saint-Robert, nous a aimablement autorisé à publier en ligne les publications qu’il a faites sur les armoiries que l’on rencontre à La Chaise-Dieu. La présentation ci-dessous a été publiée dans le Programme du XIVe Festival de La Chaise-Dieu en 1990, p.14-19.
Parcours héraldique en l’abbaye de La Chaise-Dieu
Nombreux sont les festivaliers à s’interroger chaque année sur la signification des roses rouges et des figures représentées sur le fanion du Festival de La Chaise-Dieu, flottant au sommet de la tour Clémentine 1. Issues des riches heures du grand passé de l’abbaye casadéenne, ces roses sont en fait à rapprocher de bien d’autres, aux couleurs effacées par le temps, décorant les écus gravés dans la pierre, sculptés dans le bois ou peints sur les vitraux de l’église.
C’est Pierre Roger, ancien moine de La Chaise-Dieu, devenu en Avignon le 7 mai 1342, le pape Clément VI, qui la fit construire pour abriter le tombeau où il fut inhumé en avril 1353. Ses armoiries sont composées avec six roses rouges pour rappeler probablement le berceau de sa famille, le village de Rosiers en Limousin. Son neveu, également pape, sous le nom de Grégoire XI le 5 janvier 1371, porte des armoiries identiques. Il poursuivit l’œuvre de son oncle, et les historiens lui attribuent notamment la façade de l’église et la tour Clémentine où ses armoiries décorent les murs extérieurs, surmontées des clefs et de la tiare papales.
De la cour Lafayette, l’on peut admirer deux écus entourant la plus haute fenêtre de la tour Clémentine, sous le chemin de ronde ; un autre écu, visible du cloître, se trouve sur la face opposée de la tour Clémentine, à la même hauteur ; cependant que quatre autres écus aux armes de Grégoire XI peuvent être aperçus de la place de l’église, au sommet des clochers.
Dans l’église, le regard est arrêté par le jubé, où deux contreforts entourant la porte d’accès au chœur sont ornés des armoiries de Clément VI . Celles-ci apparaissent également sur la plupart des clefs de voûte et sur l’une des vitraux derrière le maître-autel, sans oublier une belle pierre gravée, délaissée dans la cour entre l’église et le cloître.
Vocabulaire héraldique
Les héraldistes usent pour décrire les blasons d’un langage ésotérique, conservant des termes du vieux français, mais alliant concision et précision.
Les teintes, appelées émaux, sont utilisées sans nuance et toujours précédées, dans la description des armoiries, par l’article “de”.
On distingue les couleurs
de gueules (rouge),
d’azur (bleu),
de sinople (vert),
de sable (noir) ;
les métaux
d’argent (blanc) et
d’or (jaune).
Il faut ajouter les fourrures, combinaisons d’émaux, qui rappellent les pelleteries recouvrant parfois les boucliers. Les principales sont l’hermine, utilisée sur les armoiries de Bretagne, et le vair évoqué plus loin. Les émaux, souvent effacés au fil des siècles, sont restitués dans les descriptions qui suivent.
La tradition imposant de commencer la description par les émaux composant le fond de l’écu, les armoiries des papes Clément VI et Grégoire XI se décrivent donc : « d’argent à la bande d’azur accompagnée de six roses de gueules, trois de chaque côté ».
Les armoiries de l’abbaye
Aisément reconnaissable sur le pavillon du Festival, le dessin du motif de Clément VI est toutefois plus complexe. On le retrouve sur le panneau du balcon à gauche de l’orgue. Il s’agit des armoiries de l’abbaye. C’est en février 1501, sous l’abbatiat de Jacques de Saint-Nectaire, que le roi Louis XII accorda à l’abbaye ses armoiries, rappelant celles du roi de France (d’azur à trois fleurs de lys d’or) et celles du pape Clément VI. Les fleurs de lys, initialement alignées sur les armes de l’abbaye, ont été plus tard représentées pareillement à celles des rois de France.
Le bâton pastoral, que l’on nomme aussi main de saint Robert, du nom du fondateur de La Chaise-Dieu, fut rajouté peu de temps après, puisqu’il orne les armoiries des tapisseries, inaugurées le 17 avril 1518. Cette main de saint Robert, se retrouvant, seule, sur des bornes de limites dans les bois alentour, servait vraisemblablement d’emblème à abbaye avant le XVIe siècle.
L’héraldique utilise le terme « d’écartelé », pour désigner l’association réalisée entre les armoiries de Clément VI et celles des rois de France. L’écu est partagé en quatre parties numérotées de 1 à 4.
En conséquence, les armoiries de l’abbaye se décrivent : « Écartelé, aux 1 et 4, d’argent à la bande d’azur accompagné de six roses de gueules, trois de chaque côté, qui est de Clément VI ; aux 2 et 3, d’azur à de lys d’or posées 2 et 1, qui est des rois de France ; sur le tout brochant la main de Saint Robert d’or (ou d’argent) posée en pal ».
Pour les plus anciennes représentations où les fleurs de lys sont alignées, il convient de substituer : « d’azur à trois fleurs de lys d’or rangées en fasce » ; la dernière partie de la description signifiant que la main de Robert est posée sur le reste de l’écu (« sur le tout, brochant »), verticalement (« en pal »). Dans le chœur, ces armoiries sont représentées sur les tapisseries, sur le maître-autel et sur ses chandeliers.
Les autres armoiries
L’environnement du jubé recèle encore nombre d’autres armoiries.
Ainsi le religieux Jean Bonnefoy, qui élabora en 1603 la croix surmontant le jubé, la décora de ses armoiries : « d’azur à une foi d’or tenant un cœur de gueules accompagnée d’une étoile d’or en chef et d’un croissant de même en pointe ». En héraldique, une foi désigne deux bras personnes se tenant par la main. Ici ils tiennent un cœur. En haut de l’écu, autrement dit « en chef », se trouve une étoile d’or, alors qu’ « en pointe », en bas de l’écu, l’on peut observer un croissant d’or.
Le propriétaire de ces armoiries est aisément identifiable puisqu’il a pris soin d’inscrire son nom sur le pourtour de l’écu, confirmé de surcroît dans le manuscrit de Dom Gardon, moine du début du XVIIe siècle. Mais parfois le propriétaire demeure inconnu.
Une dalle armoriée toujours anonyme
Ainsi, une belle dalle armoriée d’environ 2,15 m sur 0,90 m, située devant l’autel de saint Robert, reste anonyme. Pour certains historiens, il s’agirait d’une pierre tombale de la famille Balzac d’Entraigue, mais les armoiries connues de cette famille diffèrent de celles observées à La Chaise-Dieu. Cette pierre est sculptée de cinq écus identiques, disposés pour former une croix.
Les armes de Monseigneur Serroni
Hyacinthe Serroni, abbé de La Chaise-Dieu de 1672 à 1687, fit installer l’orgue où ses armoiries sont gravées sur l’un des panneaux du balcon :
« d’azur, au lion d’or lampassé de gueules, tenant de sa patte dextre une scie de même et sciant un mont à neuf coupeaux de sinople, le tout accompagné en chef d’une étoile d’argent ».
Ces armoiries ornent également le tympan de la porte du jubé.
Le lion d’or, à la langue (lampassé) de gueules, tient dans sa patte droite (dextre) une scie. Le « mont à neuf coupeaux » désigne la montagne, le rocher, formé de neuf sommets.
Autres armoiries
Dans l’espace compris entre jubé et orgue, deux clefs de voûte présentent des armoiries différentes de celles de Clément VI.
L’une, située presque au dessus du jubé, montre un écu semé de fleurs de lys. Le semé signifie un écu chargé de nombreux petits dessins identiques, ici des fleurs de lys, régulièrement disposés. La couleur du fond en est malheureusement effacée. Si elle était d’azur, il s’agirait des anciennes armoiries des rois de France. C’est au milieu du XIVe siècle que Charles V limita à trois, le nombre de fleurs de lys. Mais le fond en était peut-être de gueules, et les armoiries seraient alors celles de l’ancienne famille d’Alègre, possédant la seigneurie toute proche du même nom, éteinte au milieu du XIVe siècle avec Armand IV d’Alègre.
Une autre clef de voûte située en dessus du buffet d’orgue est décorée des armoiries de Jean Chandorat, abbé de La Chaise-Dieu en 1318, nommé en 1342, par le pape Clément VI, évêque du Puy, et ce, jusqu’à sa mort survenue en 1356. Cet évêque contribua à la poursuite des travaux entrepris par Clément VI. Le fermoir d’un coffret, retrouvé lors de fouilles, et conservé actuellement dans une vitrine au premier étage de la tour Clémentine2, est orné des armoiries de sa famille :
« d’or, à trois flanchis d’azur, 2 et 1, à la bordure de même ».
Les flanchis sont des croix de Saint-André, disposées ici, deux en haut de l’écu et la troisième en dessous (« 2 et 1 »). La bordure est constituée d’une sorte de ruban entourant l’écu tout le long de son contour. L’évêque Jean Chandorat ajouta aux armoiries de sa famille une crosse posée en pal, distincte sur la clef de voûte située en dessus de l’orgue. Ces armoiries se retrouvent également sur une pierre fixée sur le sol du collatéral sud. Malheureusement, sur cette dernière, on a cimenté les restes d’un bénitier, cachant en partie les armoiries.
Au rez-de-chaussée de la tour Clémentine, une très belle clef de voûte est parée de quatre écus. Les armoiries de l’évêque Jean Chandorat (avec la crosse) sont entourées par celles de sa famille (sans la crosse) et par celles des évêques du Puy, où sont à remarquer un bras tenant une crosse et un autre une épée, emblématiques du pouvoir spirituel de l’évêque allié à son pouvoir temporel, l’évêque du Puy étant comte du Velay. Le quatrième écu de l’admirable clef de voûte de la tour Clémentine est « de vair plein » ou vairé. Le vair rappelle des fourrures recouvrant parfois les boucliers du Moyen Âge. Il symbolise les dos, gris ou gris-bleu, et les ventres blancs d’un écureuil. Sur les armoiries, cette fourrure est figurée par une alternance de clochettes d’argent et d’azur. Mais il existe aussi des vairés, fourrure imaginaire, présentant le même dessin que le vair, mais avec des émaux différents. Par exemple « vairé d’or et de gueules » représente une juxtaposition de jaune et de rouge. L’observation d’armoiries aux coloris disparus ne permet pas de distinguer le vair d’un vairé. C’est le cas à La Chaise-Dieu, et les historiens ne se sont pas accordé sur l’attribution de ces armoiries, portées par plusieurs familles et observables également en dessus de la porte d’accès à la tour Clémentine.
Le collatéral nord, outre la célèbre danse macabre, recèle deux tombeaux avec des gisants, l’un d’un évêque, l’autre d’un moine dont la tête repose sur un coussin orné de neuf écus identiques de vair ou vairé.
Sur les tapisseries, les armoiries de l’abbaye accompagnent celles de Jacques de Saint-Nectaire « d’azur à cinq fuseaux d’argent accolés en fasce » ; c’est-à-dire bleu (d’azur) avec cinq losanges allongés (fuseaux) blancs (d’argent) juxtaposés (accolés) et alignés au milieu de l’écu (en fasce). Jacques de Saint-Nectaire fut le dernier abbé élu, en 1491. Après son décès en 1518, ses successeurs ne seront plus élus par les moines de l’abbaye, mais nommés par le pouvoir royal. Jacques de Saint-Nectaire dota l’abbaye des tapisseries et de nombreuses richesses, et ses armoiries sont largement représentées : sur une plaque sculptée, sur le mur du collatéral sud ; puis au sortir de l’église, dans le vestibule accédant au cloître, en dessus de la porte d’accès au grand escalier ; et dans le cloître, une très belle porte, entre la chapelle des Pénitents et l’« Hôtel de l’Écho », est elle aussi surmontée des armoiries de Jacques de Saint-Nectaire.
Dans le cloître
À droite, en sortant de l’église, sur le mur du cloître d’autres armoiries agrémentent également quatre clefs de voûte. Ces armoiries, qui se retrouvent à l’étage supérieur dans une belle salle, ancienne bibliothèque des moines, ainsi qu’aux sommets de quatre contreforts du cloître, appartiennent à André Ayraud, abbé de La Chaise-Dieu de 1377 à 1420, qui fit construire une partie du cloître.
La chapelle des Pénitents
Dans l’ancien réfectoire des moines, devenu chapelle des Pénitents au début du XIXe siècle, sont reconnaissables, sur les deux clefs de voûte du fond, les armoiries de Jacques de Saint-Nectaire.
Les quatre autres clefs de voûte sont ornées des armoiries de la famille Chauvigny de Blot, qui donna deux abbés à La Chaise-Dieu : Hugues de 1420 à 1465, puis son neveu Renaud de 1465 à 1491. L’écu, comme celui de l’abbaye, est divisé en quatre ; il se décrit donc, en restituant les teintes :
« écartelé, aux 1 et 4 de sable au lion d’or, aux 2 et 3 d’or à trois bandes de gueules ».
Enfin, sur le mur situé en face de l’entrée de la chapelle des Pénitents, sont représentées les armoiries de l’abbaye.
Cent vingt-cinq représentations de quatorze types d’armoiries ont ainsi été recensées au terme de ce parcours héraldique en l’abbaye, le bourg de La Chaise-Dieu recelant bien d’autres richesses, voisinant avec les armoiries d’anciennes corporations ou de familles casadéennes…
Bibliographie de l’article
BOUDET, Une dalle armoriée de l’abbaye de La Chaise-Dieu, communication à la Société Académique du Puy et de la Haute-Loire, (1989)
BOUDET, Les armoiries de Jean Chandorat et de sa famille à La Chaise-Dieu, communication à la Société Académique du Puy et de la Haute-Loire, 1989
BOUDET, Promenade héraldique dans le bourg de La Chaise-Dieu, communication à la Société Académique du Puy et de la Haute-Loire, 1989.
J.-B. BOUILLET, Nobiliaire d’Auvergne, 1848
Dom F. GARDON, Histoire de l’abbaye de La Chaise-Dieu, publié par A. JACOTIN, suivie d’une étude sigillographique par C. JACOTIN de Rosières, 1912
P.R. GAUSSIN, L’abbaye de La Chaise-Dieu 1043-1518, 1962
P.R. GAUSSIN, Huit siècles d’histoire : l’abbaye de La Chaise-Dieu 1043-1790, 1967
Vicomte G. JOURD de VAUX, Le nobiliaire du Velay et de l’ancien diocèse du Puy, 1924-1933
PAUL, L’abbaye bénédictine de La Chaise-Dieu, 1951
PAUL, Armorial général du Velay et des enclaves de l’Auvergne, du Gévaudan, du Vivarais et du Forez formant le département de la Haute-Loire, 1912.
PAUL, « Hyacinthe Serroni et le buffet d’orgues de l’abbaye de La Chaise-Dieu », Almanach de Brioude, 1929
PAUL, « Armorial chronologique des évêques du Puy », Bulletin historique de la Société Académique du Puy et de la Haute-Loire, tome 43, 1965
PASTOUREAU, Traité d’héraldique, 1979
POMARAT, A propos d’un tombeau de La Chaise-Dieu, communication à la Société Académique du Puy et de la Haute-Loire, 1964